L’évaluation par les pairs, pour mieux comprendre les objectifs d’apprentissage et mieux apprendre

L’évaluation par les pairs ne concerne pas que les MOOC, dans ces derniers les étudiants sont trop nombreux pour être notés par la seule équipe pédagogique. 
Nombreuses sont les expérimentations au cours desquelles les enseignants mettent en place une évaluation par les pairs, même avec un nombre plus réduit d’étudiant.es (nous avons eu l’occasion d’en parler ici). Au terme de plusieurs expérimentations concernant les évaluations, l’évaluation par les pairs semble présenter de nombreux avantages.
En effet, loin de l’idée reçue selon laquelle ce type d’évaluation permet à l’enseignant.e de se décharger d’une part considérable de son travail, elle permet le développement chez les étudiants, d’une double compétence : celle de la maîtrise du sujet enseigné et celle de la maîtrise de modalités d’évaluations elles-mêmes.
On a longtemps considéré que l’enseignant, en tant que déjà expert du domaine qu’il enseigne était le mieux placé pour vérifier les connaissances de ses étudiants et comprendre leurs erreurs. Or, dans cet article, nous parlerons d’une activité développée par un enseignant dont le présupposé de départ est tout autre : si on laisse les étudiants développer une expertise dans l’évaluation de leur travail et de celui de leurs camarades, ils comprennent mieux ce qui est attendu d’eux et peuvent ainsi développer une plus grande expertise de la matière elle-même.
L’expérimentation pédagogique en question a été menée en formation d’ingénieur à Télécom Bretagne.

Un article rédigé par Marine Karmann, conseillère pédagogique à Télécom Bretagne à la suite d’un entretien avec Laurent Brisson, enseignant chercheur à Télécom Bretagne.

I – FICHE D’IDENTITE DU PROJET
1 – Etudiants concernés
Les étudiants de troisième année de Télécom Bretagne, ont l’occasion d’avoir un cours d’informatique pas comme les autres. Nous avons déjà parlé de l’enseignement par le jeu de rôle organisé par cet enseignant en début de parcours ici (Un apprentissage par problèmes et par projet (APP) pour une formation scénarisée par le jeu de rôle). Aujourd’hui, nous allons nous concentrer sur une autre modalité de cette expérimentation pédagogique ; l’évaluation par les pairs grâce à des QCM formatifs. Le projet concerne 40 à 60 étudiants.

2 – Rôle du dispositif dans le cursus de formation
La forme d’évaluation dont nous allons parler a un rôle totalement formatif au sein du dispositif. Les étudiants sont évalués par ailleurs de manière sommative lors des partiels de fin de semestre pour lesquels, les évaluations formatives dont nous allons parler sont des préparations.

3 – Nombre d’enseignants concernés
Deux enseignants sont mobilisés pour la conduite de ce travail.

4 – Objectifs et attendus
Ce projet rencontre divers objectifs, comme celui de préparer les étudiant.es pour leurs partiels sous la forme d’une sorte de contrôle continu. On pourrait résumer ainsi ces objectifs :
• Mettre les étudiant.es en situation de réflexion et de réinvestissement actif des concepts étudiés en cours.
• Confronter les étudiant.es à des situations de négociation pour leur permettre de défendre leur point de vue et de s’assurer de la véracité de leurs résultats.
• Permettre aux étudiant.es de savoir se situer par rapport aux demandes de l’enseignant.

II – DEROULEMENT DU PROJET
Cette expérimentation se déroule dans le cadre d’un cours d’informatique sur la business intelligence. Durant ce cours, les étudiant.es doivent apprendre à programmer un système d’information décisionnel. Ce travail est organisé autour d’un jeu de rôle, mis en place lors de la première séance pour permettre aux étudiant.es de comprendre ce que l’on attend d’eux et comment va se dérouler le module dans son intégralité. A la suite de quoi, ils doivent former de nouveaux groupes, et répondre à des Questionnaires à Choix Multiples formatifs. La réponse au QCM se fait en trois temps :

Première phase :
Les étudiant.es répondent seuls au questionnaire, ils cherchent les réponses sans l’aide du groupe. Pour préparer cette activité, il est important pour eux d’effectuer des recherches bibliographiques pour justifier et étayer leurs réponses par la suite.
Lorsque les QCM sont finis, l’enseignant récupère le volet réponses du questionnaire de chacun des étudiant.es individuellement pour pouvoir mesurer les différences entre les réponses de chaque étudiant et les réponses finales du groupe.

Deuxième phase :
Les étudiant.es se réunissent et comparent leurs réponses aux questionnaires. S’en suit une phase d’argumentation pendant laquelle chaque étudiant.e doit défendre son point de vue et le faire accepter au groupe. Les réponses sont d’abord choisies en rapport avec des compétences argumentatives de certains membres du groupe, qui n’ont pourtant pas toujours raison.

Troisième phase :
Pendant cette dernière phase, les étudiant.es modifient leurs réponses et soumettent à l’enseignant un questionnaire avec des réponses choisies à l’unanimité par le groupe. Les questionnaires sont ensuite corrigés par les étudiant.es du groupe au moyen d’une correction distribuée, leurs erreurs sont ainsi expliquées et les raisons des réussites justifiées par un étayage théorique.

III – RETOURS ET ÉVALUATIONS
D’après l’enseignant en charge de ce module, ce système se construit vraiment sur le principe de l’essai erreur. En effet, les étudiant.es les moins habitués à ce type de fonctionnement ont tendance à rater les premiers questionnaires, pour des raisons différentes qui sont notamment les suivantes :

  • Premièrement certains élèves sont en manque d’autonomie pour réussir à comprendre et à développer des compétences dans un milieu si proche de la classe inversée (aucun cours magistral, seulement des ateliers de mise en pratique suivis de phases de projets)
  • Ensuite, beaucoup d’entre eux sont en manque de compétences par rapport à la recherche bibliographique, il est difficile pour eux de comprendre ce qu’ils lisent tout en le métabolisant et en le remobilisant ensuite avec un exemple, pour argumenter auprès de leurs camarades et justifier de la validité de leurs réponses.

Beaucoup des étudiant.es apprennent de l’expérience du premier QCM et c’est à partir de là qu’ils vont développer des compétences intéressantes pour réussir le suivant. Ici, l’intérêt d’une évaluation formative se justifie totalement.
D’abord, ils développent une certaine forme de réflexivité quant à la motivation de leurs choix de réponse en groupe. Ils comprennent que ce n’est pas toujours celui qui a les meilleures compétences communicationnelles (argumentatives notamment) qui a les bonnes réponses et qu’il convient d’écouter chacun. Ceux qui avaient raison sur leurs QCM en autonomie mais qui n’ont pas su faire passer leur résultat au reste du groupe comprennent qu’ils doivent développer ces compétences communicationnelles afin d’être plus crédibles, plus écoutés par les autres. Ceux qui ont réussi à faire passer des réponses fausses parce qu’ils sont à l’aise à l’oral savent exactement quelle partie des cours ils doivent revoir afin de réussir au prochain questionnaire. Ils apprennent également à laisser la parole et à faire confiance à ceux qu’ils considéraient comme moins performants.
D’une manière générale, l’aspect le plus intéressant de cette expérimentation est la découverte que le moment de travail en groupe sur les réponses à apporter collectivement au questionnaire, et l’argumentation qui l’accompagne est la réelle activité d’apprentissage de ce cours. Et c’est apparemment prégnant dans les retours que font les étudiant.es à leur enseignant. En effet, d’une habitude d’un apprentissage passif, comme prendre des notes pendant des cours magistraux, les étudiant.es découvrent qu’ils apprennent mieux lorsqu’ils expliquent aux autres un concept qu’ils ont compris ou que d’autres leur expliquent quelque chose qu’ils n’ont pas compris. Finalement, ici, l’évaluation des connaissances constitue un lieu de création de conflits socio-cognitifs, d’une répétition et d’une réappropriation des connaissances par les étudiant.es, éléments constitutifs d’un apprentissage réussi. Et, aux dires des étudiant.es, ainsi qu’au vu de leurs résultats c’est assez efficace.

IV – CONTINUITES ET PERSPECTIVES
Ainsi, pour l’enseignant, cette expérience est riche et il prévoit de la maintenir. Il envisage cependant d’accompagner davantage les étudiant.es qui ont le plus de difficultés face au travail en autonomie. En effet, il considère que son cours ne permet pas encore un amorçage optimal pour ces étudiants qui se retrouvent perdus et ne savent pas où, ni comment chercher les informations utiles. Ainsi, il prévoit de mettre en place un site internet servant de base de données et de support de cours.
Plateforme à partir de laquelle les étudiant.es pourront trouver de l’aide ainsi que des éléments du cours, toujours dans la logique de la classe inversée. Ainsi, à l’image des modalités pédagogiques de ce dispositif, le travail de l’enseignant est également organisé sur le mode de l’essai-erreur. En effet, à l’aide d’un travail réflexif continuel, il apporte régulièrement des modifications à ses enseignements, en vue de les améliorer.

Article publié sur le site : https://www.innovation-pedagogique.fr/article844.html
Auteur : Marine Karmann
Licence : CC by-sa