Initier les élèves ingénieurs aux relations dans le monde au travail grâce au cinéma

Qui dit formation d’ingénieur, dit communément formation scientifique et technique. Mais l’ingénieur ne fait pas que résoudre des problèmes techniques. Il est amené tout au long de sa carrière à se positionner sur des problèmes sociaux, parfois éthiques, ou simplement humains que ce soit en tant que membre d’une équipe ou en tant que manager. À l’École des Ponts, le département SHS de l’École des Ponts propose depuis des années des modules qui interpellent les étudiants sur ces sujets.

C’est l’objet du module d’enseignement Travail et Cinéma, module ouvert à la rentrée 2018, assuré par Gilles Jeannot, Catherine Pesez-Landault et Céline Berreby, destiné à tous les élèves de première année de l’École. Son objectif est de sensibiliser les élèves ingénieurs à des phénomènes relationnels récurrents dans la sphère professionnelle et d’attirer leur attention sur les enjeux liés à la psychologie et à la sociologie du travail.
Déroulement du dispositif

Gilles Jeannot, président du département SHS de l’ENPC, a choisi, pour cette première édition, d’initier les élèves à l’analyse des conditions de travail au travers du prisme de photographies reflétant différents univers professionnels. Il leur a présenté ensuite l’approche choisie ainsi que les critères d'évaluation :
  • Capacité à poser le contexte et à situer l’extrait du film
  • Pertinence du choix de l’extrait et du problème analysé
  • Qualité de l’analyse du travail et de la mise en relation avec l’article sociologique
  • Capacité d’animer un débat

  • Regroupé en équipe de 4, les étudiants se sont vues attribuer un film parmi les 8 sélectionnés. Parallèlement, un corpus de 18 textes a été mis en ligne sur une page d’Educnet, la plateforme pédagogique de l’École. Les étudiants avaient pour mission d’identifier des extraits de film et de les relier à un texte de sciences humaines. Ils ont eu entre 3 et 6 semaines pour réaliser leur présentation. Des DVD étaient mis à leur disposition. Entre l’amphi de présentation et la restitution, ils avaient la possibilité de questionner par e-mail l’équipe enseignante.
    Du cinéma à l’éthique professionnelle
    Le choix des films par les enseignants a répondu à un souhait de proposer des films avec des thématiques diversifiées, mais facilement identifiables. Il était important que ces fictions soient en lien avec le stage IPPEX, stage d’immersion au poste d’exécutant. Si peu de films traitent de l’activité de travail sur chantier de construction, la plupart gravitent autour des rapports hiérarchiques et abordent les questions d’éthique professionnelle.
    « La loi du marché » et « Hippocrate » ont permis de mettre en avant des questions liées aux conflits de valeurs. Peut-on toujours les résoudre ?

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    Vincent Lindon dans la loi du marché campe un vigile dans un supermarché, figure d'autorité soumis à la pression de dénoncer des personnes commettant des vols de marchandises, parfois par nécessité.



    « Le Diable s'habille en Prada » a été l'occasion de la mise en lumière de mécanismes du harcèlement et de la souffrance au travail. Où commence le harcèlement ?

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    Meryl Streep dans le rôle d'une tyrannique rédactrice en chef d'un prestigieux magazine inculque à Anne Hathaway, fraichement diplômée, les lois impitoyables de l'univers de la mode.



    « Louise Wimmer » a suscité des réflexions sur les notions de « sale boulot ». Les difficultés inhérentes au « sale boulot » sont-elles amplifiées par le caractère « invisible » du travail ?

    objet-objectif

    Après un accident de parcours, Louise Wimmer, incarnée par Corinne Masiero, est une femme de cinquante ans, SDF, qui se doit se reconstruire en effectuant toutes sortes de petits métiers .

    Des apprentissages très variés

    La première vertu du dispositif est d’arriver en peu d'heures de présentiel à aborder de multiples thématiques autour des relations dans la vie professionnelle et de susciter des réflexions critiques et pertinentes de la part des étudiants.

    La plus remarquable est peut-être la maturité des élèves, leur capacité à s'approprier des textes et à les relier avec justesse à des situations observées. Ces futurs ingénieurs à l’expérience professionnelle très limitée arrivent à faire preuve d’une grande pertinence dans l’analyse de situations. On a pu sentir un accueil très positif de ce type d'exercice, qualifié d'original et la plupart des élèves ont semblé investis. Preuve en est l'attention très soutenue pendant les 2h30 de restitution (sans pause) et la participation active, nourrie aux débats. 

    Utiliser un matériau fictionnel est également un bon moyen d'interpeller un public très habitué aux supports audiovisuels. Le média cinéma a des vertus multiples, il est accessible rapidement et sujet à de multiples interprétations. Les analyses des étudiants ont d’ailleurs parfois fait référence de façon pertinente à l’impact des techniques cinématographiques observées.

    Enfin, à travers ce dispositif, les élèves ont l’occasion de travailler des compétences transversales : contextualiser, raconter, habiller une présentation avec des vidéos, animer un débat avec un groupe de pairs. Aptitudes qui leur seront utiles tout au long de leur parcours.

    Il reste que les étudiants suivent ce dispositif au tout début de leur scolarité à l'ENPC alors qu'ils sortent à peine de classes préparatoires. L’approche de ces thématiques marque une rupture avec les enseignements scientifiques précédents. Auront-ils le réflexe de relier ces réflexions à leurs futurs stages d'immersion en entreprise ? Comment poursuivre dans la même dynamique la découverte d’autres concepts issus des sciences humaines ? Expérience à essaimer et à poursuivre.

    « Je n’enseigne rien à mes élèves, j’essaie seulement de créer des conditions dans lesquelles ils peuvent apprendre. » - Albert Einstein



    Auteure : Céline Berreby, enseignante et co-responsable du module