Face à la difficulté de dispenser des cours d’un niveau technique élevé en amphithéâtre, avec un nombre important d’élèves, une enseignante de Télécom Bretagne, propose une solution pédagogiquement innovante : intégrer le MOOC qu’elle a réalisé au sein de ses enseignements et en faire l’objet d’une évaluation terminale au même titre que n’importe quel autre cours. C’est l’analyse et l’explication de la conduite de ce dispositif que nous proposons dans cet article. Un compte rendu des résultats de cette expérimentation est disponible dans l’article ” Intégrer les MOOC dans une formation d’ingénieurs “.
Un article rédigé par Marine Karmann, conseillère pédagogique, à partir d’un entretien avec Géraldine Texier, enseignante-chercheure à Telecom Bretagne.
I – FICHE D’IDENTITE DU PROJET
1 – Etudiants concernés
En première année de cycle d’ingénieur, cette UV en « Principes des réseaux informatiques » concerne 150 à 180 étudiants. Ce module dure 21h.
2 – Objectifs et attendus
Supprimer les cours traditionnels en amphithéâtre
Proposer une formation hybride à un grand nombre d’étudiants pour permettre une meilleure individualisation des parcours
II – DEROULEMENT DU PROJET
1 – Le MOOC
Suite à la décision de réaliser un MOOC reprenant le contenu de leur UV sur les principes des réseaux informatiques, une équipe d’enseignants de Télécom Bretagne, a décidé d’intégrer ce MOOC ouvert à tous aux cours de première année. Cette décision résulte à la fois du constat que le travail d’ingénierie d’un MOOC représente énormément de temps et de travail, il est donc important de pouvoir faire en sorte que les étudiants en bénéficie, et de retours mitigés des élèves comme des enseignants concernant les cours de bases des réseaux en amphithéâtre. Les étudiants trouvaient difficile de se concentrer sur l’apprentissage des concepts fondamentaux des réseaux avec 180 autres élèves dans la salle, et demandaient des Travaux Pratiques afin de manipuler et de faire l’expérience des éléments dispensés en cours. Les enseignants quant à eux partageaient le sentiment de fatigue suite à trois heures de cours magistrale sur un sujet aussi technique et avec autant d’élèves.
Le MOOC « Principe des réseaux de données » en lui-même a été ouvert en Février 2014, il faisait 8 semaines à l’époque (il en fait 6 à présent ; 5 semaines de cours, une semaine de révisions et une semaine d’examen) et est joué deux fois par ans. Il représente un volume estimé de travail par semaine et par étudiant d’environ 5 heures. Les vidéos d’une durée moyenne de 8 minutes sont accompagnés de quiz formatifs (non-notés). Pour valider le MOOC, les participants doivent effectuer chaque semaine des exercices, un TP sur machine virtuelle ainsi qu’un TD plus global pour valider et réutiliser les notions plus larges vues en cours. Ils doivent également passer un examen final qui représente 50% de la note. Les participants doivent au moins valider 50% des activités pédagogiques proposées pour obtenir la moyenne. Lors de la première session, le MOOC a compté plus de 6300 inscrits, dont 147 étudiants in situ.
Les cours en amphithéâtre ont donc été supprimés pour permettre aux étudiants de suivre le MOOC depuis chez eux, mais le dispositif nouvellement pensé prévoit une hybridation des cours sous la forme d’une classe inversée adaptée aux demandes et incompréhensions des étudiants. Les cours en amphithéâtre sont donc plutôt remplacés par des « points de rencontre » le mardi après-midi. Ces « points de rencontre » sont l’occasion pour les étudiants de rencontrer les enseignants et d’obtenir des réponses à leurs questions (posées jusqu’au du lundi midi par mail ou à travers un forum dédié). Si aucune question n’est posée, les enseignants considèrent que le cours est compris et le « point de rencontre » n’a pas lieu. La participation à ces « points de rencontre » n’est pas obligatoire et les étudiants viennent si ils en ressentent le besoin. Les enseignants font état de deux populations distinctes d’étudiants présents lors des « points rencontre » :
Les étudiants qui ont posé des questions, certains quittent le cours lorsqu’ils ont obtenu la réponse à leur(s) question(s).
Les étudiants qui ne veulent rien manquer au parcours et qui participent à tous les « points rencontre » pour s’enrichir des interventions et réviser des notions même si ils les maîtrisent a priori.
Ces points d’étapes sont au nombre de 4 ; une première séance de présentation du fonctionnement du module hybride, et 3 séances « points de rencontre » de trois heures maximum.
S’ajoutent à ce dispositif 3 séances de TD en présentiel (avant l’hybridation du dispositif, ces séances étaient de 3h en plénière). Désormais, les séances durent 1h30 en demi-groupes de 16 étudiants et mobilisent 5 enseignants. Cette nouvelle organisation permet une réelle individualisation du parcours des étudiants et des séances de travaux dirigés à « taille humaine ».
Sont obligatoires pour valider le module ; la première séance, les 3 séances de TD d’1h30. Ce qui donne 5h30 obligatoires contre 21h programmées initialement sur le module. Les étudiants organisent le reste des heures à leur convenance pour travailler sur le MOOC, interagir avec l’équipe enseignante ou travailler une autre matière et avancer dans le MOOC sur d’autres plages horaires.. L’enseignante suit la progression, ainsi que les éventuels retards et décrochages des étudiants via la plateforme FUN sur laquelle est hébergée le MOOC.
Comme nous le disions plus tôt, le dispositif mobilise 1 enseignante avec qui nous avons passé l’entretien qui nous a permis de rédiger cet article. Quatre autres enseignants interviennent pour la tenue des TD. Un assistant pédagogique qui répond aux questions sur la plateforme et participe à l’animation du MOOC intervient maintenant en soutien de l’enseignante responsable. Il est intéressant de noter que deux assistants pédagogiques supplémentaires ont été recrutés suite à la première session du MOOC parmi les étudiants du module les plus actifs et pertinents.
Concernant l’évaluation finale de l’UV, les étudiants in situ, bénéficient d’un dispositif différent des participants au MOOC en externe, ils passent une évaluation certificative constituée d’un examen terminal d’une heure en présentiel.
III – RETOURS ET EVALUATIONS
1- Pour les apprenants
A priori certains étudiants considèrent le dispositif avec curiosité, d’autres ont un ressenti plus négatif concernant la classe inversée par le biais des MOOC. L’absence d’enseignements directement dispensés en amphithéâtre leur donne l’impression d’être abandonnés, au début ils peuvent également faire remonter l’impression de recevoir une formation de moins bonne qualité. En fin de dispositif, les étudiants émettent des commentaires et font état d’un ressenti positif, par rapport à leur apprentissage. Dans les faits, l’évolution des notes et du ratio de recalés lors de la première année est plutôt positive en faveur du dispositif hybride.
La possibilité de rejouer à volonté les vidéos de cours leur permet une meilleure compréhension et mémorisation que pendant un cours en amphithéâtre. Un soin tout particulier est apporté à leur accompagnement pour apporter une proximité dont le MOOC peut faire défaut, c’est à ça que servent les « points rencontre » ainsi que les TD. Il n’est pas question pour les enseignants que les étudiants se sentent comme les apprenants du MOOC en externe. La priorité est donc mise sur le contact (par mail, via la plateforme) afin que les étudiants puissent trouver rapidement réponses à leurs questions.
On note également une faible utilisation du forum par les étudiants in situ, on peut sans doutes analyser cela sous l’angle du fait que les étudiants se côtoient dans le quotidien, les questions sont sans doutes posées oralement entre les étudiants.
Par ailleurs, l’enseignante note un usage du MOOC pour permettre aux étudiants en rattrapage sur le premier semestre de continuer à suivre les cours du second semestre tout en se remettant à niveau, et donc, sans être noyé par leur retard.
L’évaluation du dispositif par les étudiants concernant leur ressenti d’apprentissage, la qualité des contenus, ainsi que leurs résultats à l’évaluation finale fait état d’une amélioration générale de la qualité des apprentissages.
2- Pour les enseignants
Le bilan pour les enseignants est également positif, la plupart des difficultés à l’origine de ce projet d’hybridation ne sont plus rencontrées (fatigue suite aux cours en amphithéâtres, difficulté d’individualiser les parcours et les apprentissages…).
Une certaine valeur ajoutée du dispositif est remarquée, notamment concernant le fait que des Travaux Pratiques ont été crées dans le cadre de ce dispositif, ainsi que les Travaux dirigés, qui sont désormais en petits groupes, donc plus efficaces et agréables, et qui permettent de s’assurer de la bonne compréhension de chacun des étudiants.
L’enseignante note un intérêt pour l’analyse des échanges sur les forums qui permettent de mieux comprendre et appréhender les modes d’apprentissages des étudiants et de les comparer aux participants externes souvent en situation d’activité professionnelle. Les modes de fonctionnement et d’apprentissage de ces deux populations sont différents et parfois complémentaires.
L’équipe note également une certaine différence concernant la conception pédagogique des cours, les enseignements tels que développés en vidéos ne permettent pas d’aborder autant de points de cours qu’en amphithéâtre. Ce qui de prime abord pourrait passer pour une faiblesse du dispositif hybride vis-à-vis de l’ancien est en fait analysé comme une force par les enseignants car « on verra moins de choses, mais on les verra mieux était un peu le leitmotiv du projet d’hybridation ». Par ailleurs, un travail sur l’alignement pédagogique (Biggs) effectué par les enseignants suite à une formation en pédagogie, ainsi que les résultats des élèves au module semblent également aller dans le sens du constat général de l’efficacité du dispositif.
IV – CONTINUITES ET PERSPECTIVES
Parmi les éléments que l’enseignante souhaite voir évoluer, améliorer ou continuer on peut noter :
La pérennisation des postes des assistants pédagogiques (étudiants recrutés lors des sessions de MOOC) est une nécessité pour le bon déroulement du dispositif.
De la même manière, recruter des assistants pédagogiques parmi les étudiants des sessions précédentes quand la session du MOOC est associée aux classes inversées renforce la notion de proximité avec les étudiants in situ et offre une excellente opportunité de former ces volontaires à l’enseignement et à la pédagogie.
Par ailleurs, les enseignants notent le besoin d’améliorer la reconnaissance comme une réelle charge de travail et d’enseignement, de l’investissement que demandent la réalisation et l’animation d’un MOOC. En effet, l’équipe estime que 30% de la charge de travail générée par la création du MOOC doit être reconstruite à chaque session (évolution des vidéos, mise à jour des contenus, composition et réflexions sur les quiz, composition des examens et des Travaux Pratiques, animation du forum, suivi des apprenants). Ce constat va dans le sens d’une évolution des missions des enseignants au sein des établissements du supérieur et de l’innovation pédagogique.
Article publié sur le site : https://www.innovation-pedagogique.fr/article814.html
Auteur : Marine Karmann
Licence : CC by-sa